Des évolutions permanentes
Née il y à peine 3 siècles, l’orthopédie a connu des transformations spectaculaires qui vont en s’accélérant depuis les dernières décennies [1]. L’arrivée des implants chirurgicaux puis des sous-spécialités et désormais de la transformation numérique a bouleversé les pratiques et leurs évaluations. Le monde environnant s’est également transformé. De nouveaux acteurs, en pointe sur les soins et la recherche ont émergés, notamment en Asie. De nouveaux impératifs scientifiques se sont imposés dans le sillage de l’Evidence Based Medecine (EBM). Enfin, un regard différent est aujourd’hui porté par le public tant sur l’activité des soins que sur l’activité de recherche. La mise en lumière d’études réalisées au mépris de toutes les règles éthiques, ainsi que la nécessité de respecter les règlements européens ont entrainé un durcissement du canevas juridique encadrant la recherche biomédicale. En 1996 déjà, l’éditeur en chef du Lancet, Richard Horton publiait un éditorial intitulé « Surgical Research or comic opera, questions but few answer », appelant les communautés chirurgicales à la transformation culturelle de l’EBM [2].
Une pression grandissante à la publication
La publication est devenue en effet un enjeu majeur des institutions académiques. Pensé initialement pour être le vecteur de la diffusion des résultats de la recherche, l’article scientifique est désormais un but en soi. Le fameux “publish or perish” est devenu un adage appliqué à tous les acteurs jusqu’au médecins en formation. La validation d’un Diplôme d’Etude Spécialisé nécessite ainsi la publication d’un article en 1er ou 2ème auteur, dans un revue à comité de lecture.
Valoriser les processus de recherche semble presque revêtir un enjeu de santé publique. Initialement observé par l’Impact Factor : juge de paix bibliométrique, la bibliographie d’un auteur est désormais l’objet d’une quantification par de multiples indicateurs (h-index, Citescore, SNIP…). Le Système d'Interrogation, de Gestion et d'Analyse des Publications Scientifiques (SIGAPS) [3] mis au point par Patrick Devos à Lille est l’outil reconnu en France comme le plus équitable. Ce système basé sur le rang de l’auteur parmi les signataires et le rang de la revue, permet de quantifier la production scientifique des équipes françaises et de les comparer entre elles, mais surtout à l’international.
L’objectif final du chercheur est donc désormais la publication de ses travaux dans une revue lue par ses pairs et réputée pour son niveau d’exigence scientifique avec une large diffusion dans sa communauté scientifique [4]. L’achèvement de cet objectif implique la présence de plusieurs conditions nécessaires mais non suffisantes [5]:
En effet, en dehors de l’intérêt sur le fond, de la forme de l’article et des commentaires des relecteurs, la revue scientifique sollicitée répond à ses intérêts propres dictés également par la concurrence, et notamment la perspective d’avoir un rayonnement à travers les articles qu’il publie. Ainsi même si cette notion est de plus en plus controversée [6], le potentiel de citation d’un article est très recherché pour augmenter l’Impact Factor du journal. Ce niveau de sélection des articles se fait le plus souvent dès réception de l’article et la première lecture par le rédacteur en chef en charge de l’article.
La pression exercée sur les chirurgiens-chercheurs, en particulier pour les juniors, est donc triple :
L’orthopédie française a intégré cette compétition avec une réussite contrastée. L’activité de publication française est en croissance constante et la proportion d’articles traitant d'orthopédie traumatologie parmi les publications françaises, a augmenté, passant de 1,32% à 2,4%. En 20 ans, la France est néanmoins passée de la sixième à la neuvième position internationale, principalement en raison d'une forte augmentation des publications en provenance d'Asie.
De nouvelles contraintes
La solution pour remplir ce cahier des charges a longtemps consisté en la réalisation d’études observationnelles rétrospectives comparant deux ou plusieurs groupes représentatifs de variation de nos pratiques chirurgicales, Mais l’orthopédie française n’a pas échappé aux mutations de cette activité de recherche [7–9]. Les innovations chirurgicales apportant des changements majeurs comme la prothèse de hanche permettant de remarcher ou la plastie mitrale traitant l’insuffisance cardiaque sont rares [10,11]. Le gain d’efficacité habituel des nouvelles techniques est plus faible, et des études de fort niveau de preuve sont nécessaires pour en démontrer l’efficacité. Le cheminement de tels projets est long et fastidieux. Le temps moyen entre la rédaction du projet, le début du recueil des données et la publication est de plusieurs années. Les récentes modifications de texte de loi, ont alourdi encore les processus. Et imposent désormais une consultation du comité de protection des personnes pour tout protocole de recherche interventionnel ou hors soins courant [12]. De plus, ces études doivent être chaperonnées par un promoteur souvent difficile à convaincre dans les différentes structures de soins. Même la réalisation d’études rétrospectives va devenir difficile dans le contexte de l’application du RGPD (Règlement général sur la protection des données).
Les conséquences de ces impératifs et réglementations peuvent donc être importantes et impacter différents niveaux :
De nouveaux atouts
Les études observationnelles rétrospectives qui ont le mérite de servir de référence et ont longtemps été les chefs de file de la recherche chirurgicale atteignent aujourd’hui leurs limites.
La recherche et les publications doivent avoir pour objectif de faire avancer la science et les connaissances et donc la prise en charge de nos patients. Autrement dit ne vaut-il pas mieux publier moins, mais avec plus de qualité et de pertinence ? N’est-ce pas la conséquence inattendue et favorable de ces restrictions réglementaires ?
Pour autant est-ce la mort de la recherche ? À notre sens non, ce qui motive ce plaidoyer, mais celle-ci doit évoluer, s’adapter et utiliser les nouvelles voies offertes par la révolution numérique. Une modification de la recherche et des travaux de publications doit être entamée pour la rendre encore plus vivante, attractive, et prometteuse. Ce dynamisme doit suivre la lame de fond du changement observé depuis quelques années au sein des communautés scientifiques sur la teneur et le type des travaux publiés.
La question est la suivante : comment faire pour faciliter la recherche orthopédique (clinique et/ou fondamentale) en France ?
Prenons le problème de la recherche et de la publication en sens inverse : Qu’est-ce que je veux en tant que chercheur ? La réponse est sans détour : publier un article scientifique original et intéressant, novateur et utile pour mes pairs et ma communauté dans une revue majeure avec une charge de travail raisonnable.
Pour atteindre cet objectif, différents horizons de recherche, porteurs, divers et favorisants l’innovation s’ouvrent à nous :
Les possibilités de moderniser, diversifier, développer les recherches et par là même les publications sont quasi-infinies. Les perspectives sont plus que favorables et doivent être considérées comme optimistes concernant l’avenir de la recherche en orthopédie-traumatologie en France. Ainsi nous pourrons, peut-être, modifier notre façon d’appréhender cette recherche fondamentale et/ou clinique du fait de l’arrivée des analyses provenant de la masse de données et de l’avènement des méthodes de deep- and machine-learning. Il est possible de délaisser pour un temps les standards classiques de la recherche et d’utiliser les outils modernes. Cette évolution de la recherche et des publications est entamée depuis maintenant quelques années au niveau mondial. Il est nécessaire de participer à ce mouvement dynamique avec toute la fraicheur et l’innovation qui caractérise la recherche française pour quelle puisse jouer son rôle. Il semble également important de se tourner vers la recherche transversale et de favoriser les échanges entre les communautés scientifiques proches, ce qui a par ailleurs l’avantage majeur de permettre une ouverture d’esprit scientifique et intellectuel !!
Enfin il faut, au sein des services universitaires, hiérarchiser la recherche clinique et/ou fondamentale, en se basant sur des thématiques précises, spécifiques alliant les forces transversales des chirurgiens, des médecins, des ingénieurs et des fondamentalistes.
La chirurgie est par essence basée sur le compagnonnage : la recherche et la publication doit suivre le même chemin. En ce sens soyons des frères d’armes !
Conflits d’intérêts : Aucun pour ce travail des auteurs ne fait état de liens en relation avec ce travail. En dehors de ce travail : ME est consultant éducation Amplitude, Newclip, Groupe Lépine, rédacteur associé des conférences d’enseignement de la SOFCOT (Elsevier-Masson),
MO est consultant éducation Arthrex, Stryker et Newclip. CJ, RE BB et PD : aucun conflit
Contribution des auteurs : MO, CJ, RE, ME, BB, PD : écriture
Financement : Aucun pour ce travail
Références
[1] Di Matteo B, Tarabella V, Filardo G, Tomba P, Viganò A, Marcacci M. The “GENESIS” of modern orthopaedics: portraits of three illustrious pioneers. Int Orthop 2013;37:1613–8.
[2] Horton R. Surgical research or comic opera: questions, but few answers. Lancet Lond Engl 1996;347:984–5.
[3] Devos P, Dufresne E, Renard JM, Beuscart R. SIGAPS: a prototype of bibliographic tool for medical research evaluation. Stud Health Technol Inform 2003;95:721–6.
[4] Rahman L, Muirhead-Allwood SK. How many orthopedic surgeons does it take to write a research article? 50 years of authorship proliferation in and internationalization of the orthopedic surgery literature. Orthopedics 2010;33:478. doi.org/10.3928/01477447-20100526-06.
[5] Dobbs MB, Gebhardt MC, Gioe TJ, Manner PA, Porcher R, Rimnac CM, et al. Editorial: How Does CORR ® Evaluate Survey Studies? Clin Orthop Relat Res 2017;475:2143–5.
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[7] Erivan R, Villatte G, Ollivier M, Reina N, Descamps S, Boisgard S. The top 100 most-cited Orthopaedics & Traumatology: Surgery & Research articles. Orthop Traumatol Surg Res 2019;105:1459-1462.
[8] Dartus J, Saab M, Erivan R, Reina N, Ollivier M, Devos P. Bibliometric evaluation of orthopaedics and traumatology publications from France: 20-year trends (1998-2017) and international positioning. Orthop Traumatol Surg Res 2019;105:1425-1437.
[9] Saab M, Dartus J, Erivan R, Reina N, Ollivier M, Devos P. Publication output of French orthopedic and trauma surgeons: Quantitative and qualitative bibliometric analysis of their scientific production in orthopedics and other medical fields. Orthop Traumatol Surg Res 2019;105:1439-1446.
[10] Bailey CP, O’neill TJE, Glover RP, Jamison WL, Ramirez HPR. Surgical repair of mitral insufficiency. Dis Chest 1951;19:125–37.
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[12] LOI N° 2012-300 Du 5 Mars 2012 Relative Aux Recherches Impliquant La Personne Humaine | Legifrance. Accessed December 6, 2019.
https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2012/3/5/2012-300/jo/texte.
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[16] Erivan R, Villatte G, Ollivier M, Descamps S, Boisgard S. Update on the supply and use of allografts in locomotor system pathologies in France. Orthop Traumatol Surg Res 2018;104:1125–30.
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[18] Jacquet C, Sharma A, Fabre M, Ehlinger M, Argenson JN, Parratte S, et al. Patient-specific high-tibial osteotomy’s “cutting-guides” decrease operating time and the number of fluoroscopic images taken after a Brief Learning Curve. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc 2020:28. In press. doi.org/10.1007/s00167-019-05637-6.